Quel est le rôle joué par le MIT dans la stratégie néo-ottomane de Recep Tayyip ERDOGAN ?
Chacun le sait, la Turquie de M. ERDOGAN menace la Grèce, Chypre, l’Arménie, l’Europe…
Son rêve est de rétablir l’empire ottoman.
Ce livre est un ouvrage essentiel pour comprendre le fonctionnement des services spéciaux turcs.
M. Constantin PIKRAMENOS*, co-auteur du livre [avec Savvas KALENTERIDIS – Ndlr] « MIT – Le service secret turc » (Infognomon Editions) répond à nos questions à propos du renseignement turc et les menaces qu’il représente notamment en Europe.
Un livre enquête sur le renseignement turc ? Pour quelle raison et pourquoi maintenant ?
La Turquie des 10 dernières années et plus précisément après le printemps arabe a adopté une stratégie expansionniste néo-ottomane. On savait déjà que le parti au pouvoir AKP et Recep Tayyip ERDOGAN ont leurs origines dans l’Islam politique proche des Frères Musulmans. On savait aussi que Ahmet DAVUTOGLU (professeur en géopolitique et ancien Ministre des Affaires Etrangères du gouvernement Erdogan) a écrit un livre sur la profondeur stratégique de la Turquie dans les années 2000.
Mais c’est le printemps arabe qui a offert aux nostalgiques de l’Empire Ottoman l’occasion unique de mettre en œuvre leurs idées pour la Turquie du 21ème siècle… Et l’outil tactique pour l’expansion de l’influence turque au Moyen Orient, en Afrique du Nord, dans les Balkans, dans le Caucase et en Asie Centrale est le service du renseignement turc, le MIT.
Comment le MIT est-il structuré ? Quel est son modus operandi ?
Le MIT a traversé une période de changements structurels et de la mentalité sous la direction de Hakan FIDAN (son directeur actuel). En lisant le livre, on apprend beaucoup sur des aspects techniques de la restructuration mais aussi sur des opérations en cours du MIT.
Le livre offre une analyse profonde sur des actions des officiers turcs du MIT dans la guerre en Syrie par exemple ou sur la manipulation des communautés turques en Europe et plus précisément sur l’exploitation de l’Islam en France…
Le MIT possède un gros budget, son personnel est plus nombreux par rapport à la DGSE, gère des milliers d’informateurs conscients ou inconscients, utilise des drones ISR et de combat, contrôle
des stations d’écoutes (SIGINT) de l’armée turque…On peut dire que MIT fait partie du club des meilleurs services du renseignement en termes des moyens humains, techniques et surtout financiers.
Le Président Macron a déclaré que la loi turque ne peut pas être appliquée en France…Vous voyez derrière cette déclaration, la confirmation de l’ingérence du MIT en France ?
Il faut considérer le MIT comme un service du renseignement, des actions paramilitaires et de la guerre de l’information. Dans ce livre de presque 400 pages, on présente le vaste réseau des agents du renseignement et de l’influence que le MIT possède en Europe. L’Allemagne et la France (pays fondateurs de l’EU) font partie des cibles de préférence du MIT avec Strasbourg comme centre de coordination des activités du service secret turc.
Les relations franco-turques traversent une période très difficile… Libye, Syrie, Arménie, Chypre, frères musulmans…même Charlie Hebdo fait partie des sujets de dispute entre M. MACRON et M. ERDOGAN…
Quel rôle pour les services secrets ?
Comme vous le savez, il n’y a pas que des amis et des ennemis, il n’y a que des intérêts. DGSE et MIT se connaissent très bien et parfois ils jouent le rôle de la diplomatie parallèle…Ismail HAKKI MOUSA (l’actuel ambassadeur turc à Paris) était, entre 2012-2016, le numéro 2 du MIT mais était aussi ambassadeur de France en Turquie…Donc on se parle mais on s’espionne aussi simultanément.
Selon vous, la rivalité historique entre le MIT et les services de maintien de l’ordre turcs dure toujours ?
C’était le cas pendant presque 35 ans (1965-2000). Les partis au pouvoir contrôlaient les services du renseignement de la police nationale et l’armée ultra-kémaliste contrôlait le MIT. À partir des années 2000, le MIT devient un service du renseignement 100% civil. Sous la direction d’Hakan Fidan, le MIT se renforce encore plus en tant que colonne vertébrale de la communauté du renseignement turque. Après la tentative du Coup d’Etat en 2016, la police et plus précisément les directions du renseignement et du contre-terrorisme de la police sont complètement « nettoyées » des éléments gulénistes. On peut parler aujourd’hui de « paix définitive » entre le MIT, la Police et la Gendarmerie turcs sous le contrôle absolu du Sultan turc.
Ces dernières années, on parle beaucoup sur le rôle du MIT pendant la guerre en Syrie et les opérations du renseignement en Europe contre des membres de la communauté GULEN et des sympathisants de la question kurde….
Notre livre est centré sur les opérations du MIT des 10 dernières années, donc le lecteur trouvera une pléiade d’informations sur ces questions… Profilage, fichage, dénonciation, surveillance, menaces, harcèlement, tentatives d’assassinat et même exécution à Paris des cadres du PKK, font parties des activités du MIT sous la direction de Hakan FIDAN.
En Turquie, la situation n’est pas différente, ce qui explique pourquoi la Turquie se trouve à la première place sur la liste de plaintes déposées à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Les services du contre-espionnage en Europe essaient de contrer les activités du MIT mais, soit par manque des moyens soit par manque de volonté politique européenne, les agents des renseignements turcs se sentent libres d’opérer…pour l’instant.
*Constantin PIKRAMENOS est spécialiste de la Turquie et expert en Intelligence économique.
Diplômé de Sciences Po Athènes, il a co-écrit plusieurs ouvrages sur la Turquie et le Moyen-Orient et ses articles ont été publiés dans les presses grecque et turque.
Source : http://diaspora-grecque.com/modules/altern8news/article.php?storyid=6735